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Voyage chamanique au son du tambour

« De la sensation à la rêverie, de la rêverie au voyage chamanique,

Il n’y a qu’un battement de tambour, un battement de cœur. »

Laurent Huguelit


Un battement de tambour résonne. Le corps vibre, le coeur et l’esprit se mettent à l’unisson de ce rythme et votre attention change de registre. Avec une méthode efficace, vous entrez en transe, sans autre induction ni prise de substance. Selon le chamanisme, le cerveau a cette capacité naturelle de basculer en état modifié de conscience, de percevoir le monde invisible et d’y fonctionner selon une autre perspective, au simple son du tambour.



Une transe ancestrale

En hypnose, nous sommes familiers de l’induction au son de la voix, ce pouvoir de l’audition ne devrait donc guère nous surprendre. Nous savons aussi qu’il est possible de voyager en esprit en restant parfaitement immobile. C’est alors le corps, l’appareil auditif, et finalement le cerveau qui reçoivent ces vagues sonores. Les ondes en modifient le fonctionnement, et l’esprit se met en mouvement vers un ailleurs.


Dans les cultures d’Asie centrale, comme la Mongolie, le tambour est appelé « cheval du chamane », car il s’agit de la monture qui le propulse vers les mondes invisibles.

Dans les cultures d’Asie centrale, comme la Mongolie, le tambour est appelé « cheval du chamane », car il s’agit de la monture qui le propulse vers les mondes invisibles. Le rythme de galop du tambour devient un fidèle destrier à chevaucher. Un chamane tchouktche (Sibérie) demande à son malade : « Entends-tu ce battement ? C’est ton esprit qui court sur le tambour avec ses petits pieds. » C’est bien l’âme, le souffle animé, qui prend ce véhicule sonore et s’envole vers d’autres horizons. « C’est par la magie musicale du tambour que le chamane peut atteindre le plus haut ciel. » (Mircea Eliade)


Des vestiges archéologiques permettent d’estimer que le chamanisme, le lien ritualisé des humains avec les présences non-humaines de leur environnement, remonte à 36 000 ans. Les peintures rupestres de l’extraordinaire grotte Chauvet, en Ardèche, témoigne de cet art pariétal lié à des pratiques visionnaires, magiques et spirituelles. « Le chaman travaille dans la dimension spirituelle de la réalité, parfois appelée non-ordinaire » écrit le physicien Claude Poncelet dans son article Chamanisme – renaissance opportune d’une tradition ancienne. Ce qui caractérise le chaman, c’est l’état de perception modifié appelé Etat de Conscience Chamanique (ECC) par Michael Harner, pionnier du renouveau chamanique. « Depuis des millénaires, des méthodes variées se sont développées dans différentes cultures pour assister le passage en ECC. Une large majorité compte sur le son de percussion, particulièrement le son monotone du tambour. » L’impact physiologique du son percussif régulier est maximal dans les fréquences comprises entre 180 et 240 BpM, soit 3 à 4 battements par seconde. Certaines musiques d’inspiration chamanique, comme la création sonore de Sandra Ingerman et Byron Metcalf The Spirit of Healing, a un rythme semblable où l’on entend distinctement le tempo en quatre temps. Comme le disent les sages Touaregs « Parmi les cadeaux les plus importants des Kel Essouf (les Esprits) se trouve la Musique ».


Une pratique accessible

La vibration du tambour touche à la fois l’audition et l’espace du corps, le son focalise l’attention et empêche le mental de se dissocier de l’expérience. C’est un socle qui ramène à la terre et rend cette pratique plus sûre, sans danger d’égarement. Hypnose et chamanisme travaillent donc bien avec des états modifiés similaires dits « volontaires », dans lequel le sujet se place lui-même en état de réceptivité et d’attention accrue. Corine Sombrun parle d’une augmentation de « l’intelligence perceptive ». Le cerveau semble capter d’infinies nuances de la réalité auquel il n’a pas accès en état de conscience ordinaire (ECO). Et ainsi trouver de nouvelles solutions, des voies de guérison insoupçonnées, un retour possible à l’harmonie.


La transe au tambour est accessible pour tout un chacun, s’il souhaite en faire l’expérience. C’est ce qu’enseigne le core shamanism ou chamanisme essentiel, qui a apporté un nouveau souffle sur une pratique des plus anciennes. Avec l’aide d’un assistant qui bat du tambour, ou même d’un enregistrement audio, le praticien chamanique apprend à entrer volontairement en ECC. Là, il commence ce que l’on appelle voyage chamanique, son exploration d’une autre réalité. Exactement comme pour les fréquences sonores, il se connecte à une autre fréquence du monde. En réalité non-ordinaire, le monde suit d’autres lois, mais n’est pas dépourvu d’ordre et de structure. Le travail du chamane est de renouer avec cet espace, lieu d’habitation des présences-esprits, et de rétablir l’équilibre entre visible et invisible.


Entrer dans l’autre monde

Le chamane traditionnel, et à sa suite le praticien chamanique, apprend à distinguer divers espaces dans le monde spirituel. La représentation la plus commune sur laquelle les grandes civilisations s’entendent est la tripartition en Trois Mondes. Il s’agit, dans la version moderne, des Mondes du Bas, du Haut et du Milieu. Cela a le mérite d’être clair et sans connotations. L’enseignant chamane d’origine suisse romande Laurent Huguelit éclaire ainsi les spécificités de ces trois univers. Le monde d’en haut est celui de la spiritualité universelle, peuplé d’esprits libérés ayant dépassé l’espace et le temps, les divinités, les maîtres des lignées et traditions. Ils accompagnent le voyageur vers plus de sagesse et de compréhension. Le monde d’en bas est celui de la nature sauvage la plus originelle, impeccable et intacte. Peuplée d’animaux compatissants, bons esprits qui ne demandent rien en retour sinon de renouer avec l’instinct, l’intuition et les forces vitales. Le monde du milieu n’est quant à lui pas libéré de l’espace et du temps et reste lié à la matière, c’est l’aspect spirituel de notre réalité ordinaire. C’est l’invisible de ce qui nous entoure, rendu visible par le voyage. Les esprits de la nature, les lieux et les objets, les quatre directions ou les éléments par exemple font partie de ce monde. Certains de ces esprits demandent rétribution pour leurs services. Ainsi les chamans spécialisés dans le Monde du milieu sont des « diplomates spirituels » qui négocient avec les forces invisibles de la nature. Et avec ces esprits doués d’intentionnalité « nous pouvons faire preuve d’amitié réciproque, d’alliances poétiques, et de solidarité interrègnes. »


La voie du tambour sert une vision pragmatique, une connaissance personnelle, une expérience de l’autre réalité invisible à l’oeil ordinaire. C’est pourquoi elle ne demande aucune croyance, mais une vraie confiance. En soi d’abord, en les méthodes proposées ensuite, et enfin en ses propres esprits, garants de l’autorité spirituelle et de la souveraineté du voyageur chamanique. Pour le dire autrement, avec l’humour d’un Michael Harner : « Ask your spirits ! » Certes, il s’agit de bien garder les pieds sur terre, et c’est pourquoi le tambour est une bonne médecine, simple et ancrée. Comme il est écrit parfois dans les ouvrages sérieux sur la pratique chamanique, « il convient de consulter un professionnel de la santé avant toute mise en application des méthodes suggérées dans ce livre. » Cette décharge de responsabilité médicale indique le souci que chacun.e soit à même de gérer les effets, souvent puissants, parfois bouleversants, qu’une telle pratique peut entraîner. Mieux vaut commencer en étant accompagné ou guidé par quelqu’un qui a déjà été initié, qui a voyagé, et qui connait les étapes à traverser. Même si tout le monde peut apprendre à déplacer son attention d’un aspect de la réalité à un autre, à modifier son état de conscience à loisir, maîtriser la bascule de l’ordinaire au chamanique requiert un certain entraînement. Mais tout voyage doit bien commencer quelque part… au son d’un battement de tambour, d’un battement de coeur.



Nicolas D’Inca


Pour aller plus loin

Sébastien Baud, Corine Sombrun,


Mama Editions, 2014


Laurent Huguelit, La Voie du tambour. Manuel de voyage chamanique, Mama Editions, 2022

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