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Une odyssée par le souffle

« L’alpha et l’oméga de toute thérapeutique est de respirer à fond. »

Georg Groddeck

Quel est le véritable potentiel thérapeutique du souffle ? Et si, bien employée la respiration était un outil puissant, capable de transformer votre expérience corporelle en une aventure intérieure ? Nous avons rencontré une spécialiste, Martine Gercault, autrice de “Une psy parle aux esprits”. Sa présentation de l’atelier Respiration Holotropique lors du congrès Mimethys 2023 va nous permettre de mieux comprendre cette thérapie intégrative.



Se laisser guider

Psychologue clinicienne, psychanalyste hors normes, Martine Gercault s’est allégée du bagage freudien pour aller explorer plus librement les états modifiés de conscience et la guérison holistique (holos, de l’entièreté). Dans son ouvrage, elle dévoile avec honnêteté son chemin de vie.


« Au-delà des pratiques individuelles de psychothérapie et de psychanalyse, et en deçà des pratiques spirituelles et thérapeutiques des sociétés traditionnelles (chamaniques), la respiration holotropique occupe une place majeure. » explique Martine Gercault dans son récit.

Ses réflexions décrivent un parcours initiatique riche, jalonné d’étapes cruciales, dont l’une en particulier a retenu mon attention. En 1990, la rencontre de Stanislav Grof bouleverse profondément son approche du psychisme et lui donne une direction clinique nouvelle. Ce psychiatre-psychanalyste américain d’origine tchèque est un pionnier du courant transpersonnel, et après des études approfondies sur l’utilité thérapeutique du LSD en abandonne l’usage, car la culture underground s’était emparée de la molécule, n’en respectant pas le mode d’emploi. Il renonce à la substance chimique et retrouve des effets psycho-corporels similaires avec le souffle. Il développe alors une méthode plus sûre, appelée la respiration holotropique.


« Au-delà des pratiques individuelles de psychothérapie et de psychanalyse, et en deçà des pratiques spirituelles et thérapeutiques des sociétés traditionnelles (chamaniques), la respiration holotropique occupe une place majeure. » explique Martine Gercault dans son récit. La respiration holotropique (RH) est une méthode d’exploration de l’inconscient fondée sur plusieurs outils. Au premier chef, des techniques respiratoires actives et contrôlées dont l’hyperventilation accompagnée de musiques évocatrices. « Cette approche est l’occasion de renouveler et d’élargir sa conscience, de l’ouvrir à la fois sur l’univers et sur l’intimité de son histoire d’enfant. »


La structure des matrices périnatales

Par ce processus, le patient peut débloquer l’énergie emprisonnée dans des symptômes émotionnels ou somatiques, et reprendre la mise en circulation dynamique de ses expériences. C’est un voyage intérieur, favorisé par la transe, qui permet la reviviscence de vécus périnataux, biographiques et transpersonnels. En particulier, des mémoire utérines liées à la naissance, vont se réactualiser au cours de cette ouverture de conscience. Grof pense que les vécus de la vie sont souvent une condensation d’expériences de naissance (COEX). La RH va donc se focaliser sur ce qu’il nomme Birth Perinatal Matrix (BPM), à savoir les matrices périnatales, expériences fondatrices des quatre stades de la naissance.


La BPM 1 est liée à Neptune (l’Océan), et correspond au stade intra-utérin, à l’univers amniotique, en lien avec des archétypes féminins nourriciers ou dévorants.


La BPM 2 est en lien avec Saturne (le Temps) et constitue une expérience sans fin, un lieu sans issue, lorsque les contractions ont commencé. L’utérus ne semble pas se dilater pour que le bébé puisse s’engager à travers la filière pelvigénitale. C’est le paradis perdu, le moment de la chute.


La BPM 3 est liée à Pluton (le monde des Enfers), c’est le combat mort-renaissance. Le col de l’utérus est dilaté, des forces titanesques se mettent en marche, s’établit une lutte pour la vie. Le bébé quitte l’utérus, et le patient respirant peut expérimenter une mort de l’ego, une dissolution de ses limites. C’est aussi le symbole du phénix, qui renaît de ses cendres.


Enfin la BPM 4 est en rapport à Uranus (le découvreur, le Ciel) et correspond à la phase d’expulsion. C’est une libération explosive, suivie de la ligature du cordon et de l’autonomie d’avec le corps maternel. Le bébé respire pour la première fois et existe à part entière.

Nous voyons ici comment Grof a poursuivi les intuitions de Rank sur le traumatisme de la naissance, ainsi que les travaux de Jung sur les archétypes et la vision symbolique des expériences humaines, y compris les plus précoces.


Un protocole encadré

Quel est le dispositif approprié pour revivre des phases si archaïques du développement de la psyché ? Le setting de base diffère selon les thérapeutes, et nous présentons ici le travail d’encadrement privilégié par Martine Gercault. Sa pratique RH a lieu en groupe, sur deux jours, en binôme : d’un côté le breather (le « respirant ») et de l’autre le sitter (l’accompagnant ou gardien). Le premier jour, l’un accompagne l’autre, et le second ils changent de rôle.


Son protocole de départ n’est pas éloigné de celui du voyage chamanique au tambour évoqué dans le précédent numéro, car le pratiquant est allongé au sol, dans la pénombre, les yeux recouverts d’un bandeau, de préférence dans un sac de couchage ou sous une couverture. La séance débute par une relaxation et des inductions hypnotiques qui favorisent l’entrée dans le monde intérieur. Puis commence la respiration profonde, ventrale, rapide, accompagnée d’une musique de percussions, tel un élan, une chevauchée guerrière. S’opère une modification de l’équilibre acido-alcalin du sang, qui entraîne le changement de réalité. Le souffle soutenu et les sons intenses produisent la résurgence de souvenirs refoulés, issus des couches plus profondes (physiologiques) de la mémoire.

L’accompagnant a pour rôle essentiel d’être le garant de la sécurité physique et morale du respirant. Des limites sont posées au préalable quant au respect du cadre, car en état d’expansion de conscience, les expériences sont intensifiées. Le contact établi par le thérapeute aura pour but de libérer l’armure caractérielle, en exerçant des pressions sur les zones douloureuses et demandant au patient d’y résister et d’exprimer des sons. Cela soulage les tensions et permet la libération de la mémoire et même l’hypermnésie.


Ce processus est comme nous l’avons vu avec les BPM semblable à celui de la naissance. Un mandala, dessiné par le respirant après sa renaissance, est une intégration essentielle une fois qu’il a quitté la « salle de travail ». Transition entre le monde intérieur et extérieur, retour à la réalité. Ensuite, il présente ce mandala au groupe, partage son expérience et peut en obtenir un feedback.


En pratique

Un tel processus est intense et active de nombreux circuits neurologiques en même temps, ce qui peut être difficile à intégrer. Martine Gercault insiste sur la formation clinique des thérapeutes en respiration holotropique, et sur le choix des participants. En effet, les contre-indications sont sérieuses : problèmes cardio-vasculaires, hypertension, épilepsie, grossesse et troubles psychiatriques en premier lieu. C’est pourquoi elle n’accepte que des sujets ayant déjà fait un travail psychothérapeutique sérieux. Vous trouverez dans son livre des exemples cliniques édifiants et sur son site les dates des prochains stages.


Lors du congrès Mimethys où avait lieu cet atelier, une participante s’est prêtée à l’expérience et nous avons pu y assister en direct. Notons l’intense présence du thérapeute, qui se tient dans une grande proximité avec le patient allongé. Les rythmes musicaux changeants induisent et accompagnent les phases de la respiration, d’abord une montée puis un plateau et un apaisement. Une tonalité hautement émotionnelle peut se dégager. La question des rythmes dans la relation au nouveau-né et d’accordage au patient se pose, toujours dans un accompagnement proximal. Le contact des mains est primordial notamment sur le diaphragme pour pousser la respiration et sur le sommet de la tête pour contenir, apaiser. La respirante du jour en parlera comme d’un « voyage onirique avec des sensations extra-corporelles, comme une sortie de corps, suivie d’une réintégration corporelle paisible, harmonieuse et non douloureuse ». Remarquons aussi les liens spontanés qui s’établissent avec les visions chamaniques puisqu’elle rapportera avoir « chevauché sur un cheval bleu hors de la Terre, vers le ciel ». Etonnant, n’est-ce pas ? Trust the inner healing process, comme aimait à le répéter Stanislav Grof : « Faites confiance au processus de guérison intérieure ».



Nicolas D’Inca


A lire

Martine Gercault, Une psy parle aux esprits. Expériences aux frontières de l’extraordinaire, Mama Editions, 2019

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